Le silence des anciens combattants, une bombe à retardement ?
Ils sont rentrés du front, mais la guerre ne les a jamais quittés. Soldats des deux guerres mondiales, vétérans du Vietnam, anciens combattants d’Algérie ou d’Irak… Beaucoup sont restés silencieux, incapables de raconter l’horreur. Ce silence n’a pourtant pas été un vide, mais une transmission invisible qui a profondément marqué leurs descendants. De la psychogénéalogie à la neurologie, en passant par la sociologie et l’histoire, cet article explore comment le non-dit des survivants s’est inscrit dans la mémoire familiale et collective, influençant des générations entières.
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Un silence plus lourd que les mots
Quand les soldats sont revenus du front, ils ont souvent ramené avec eux un silence pesant. Un mutisme que l’on retrouve à travers toutes les guerres, de l’Antiquité aux conflits contemporains. Pourquoi tant d’anciens combattants ont-ils refusé de parler ? Était-ce pour se protéger ? Pour protéger leurs proches ? Pour éviter de revivre l’horreur ?
Les répercussions de ce silence ne sont pas qu’individuelles : elles s’étendent sur plusieurs générations. Les familles de ces anciens combattants ont souvent grandi dans un climat de tension diffuse, de malaise indicible, qui a influencé leur psychologie, leur rapport au monde et même leur santé.
Quels mécanismes expliquent cette transmission silencieuse ? Comment les traumatismes de guerre ont-ils façonné les générations suivantes, sans même être verbalisés ?
1. La chape de plomb : pourquoi les anciens combattants se taisaient-ils ?
Si le silence des vétérans est universel, il a des causes multiples :
Le traumatisme psychologique et neurologique : Le stress extrême entraîne une modification du fonctionnement cérébral. Selon les travaux de Bessel van der Kolk (The Body Keeps the Score, 2014), l’amygdale des personnes ayant subi un traumatisme grave devient hyperactive, ce qui empêche parfois l’expression verbale de ces événements. Ce phénomène est aussi observé dans les cas de stress post-traumatique sévère (PTSD).
La culture du silence dans les sociétés militaires : Dans l’armée, parler de ses émotions est souvent perçu comme un signe de faiblesse. Selon Chris Hedges (War is a Force that Gives Us Meaning, 2002), les soldats sont conditionnés à refouler leurs sentiments pour survivre sur le champ de bataille, ce qui empêche ensuite une verbalisation du traumatisme une fois rentrés.
La pression sociale et politique : Les vétérans de la guerre d’Algérie, par exemple, ont longtemps été contraints au silence par l’État français qui voulait tourner la page sur un conflit controversé (Stora, La gangrène et l’oubli, 1991).
Le poids de la culpabilité et de la honte : Certains anciens combattants éprouvent un sentiment de "culpabilité du survivant", une notion étudiée par Judith Herman (Trauma and Recovery, 1992), qui explique pourquoi certaines victimes de guerres ou de génocides se taisent au lieu de témoigner.
2. L’héritage invisible : comment ce silence s’est transmis aux enfants et petits-enfants
Le silence des vétérans ne reste pas sans effet sur leurs descendants. Les familles de ces soldats ont souvent grandi dans une atmosphère où "quelque chose pesait" :
Des pères absents émotionnellement : Selon la psychiatre Alice Miller (Le Drame de l’enfant doué, 1979), les enfants élevés par des figures parentales traumatisées développent souvent une hypervigilance et un besoin excessif de conformité pour éviter d’activer un malaise familial.
Une transmission par le comportement : Dans les familles des vétérans de la Seconde Guerre mondiale, des études ont montré que les enfants développaient des troubles anxieux et une peur diffuse sans en comprendre la source (Kellermann, Transmission of Holocaust Trauma, 2001).
Un climat de tension familiale et de non-dits : L’historienne Stéphane Audoin-Rouzeau (Combattre, penser, transmettre, 2017) a démontré que les familles des Poilus de 14-18 ont souvent vécu dans une peur permanente, entretenue par des gestes, des absences et une dureté parentale.
3. L’épigénétique : la guerre inscrite dans les gènes ?
Les neurosciences ont récemment mis en évidence que les traumatismes ne se transmettent pas seulement par l’éducation, mais aussi biologiquement. L’épigénétique, qui étudie comment l’environnement modifie l’expression des gènes, révèle que le stress extrême peut altérer l’ADN et être transmis aux générations suivantes.
Plusieurs études l’ont révélé:
Une étude de Rachel Yehuda (2016) sur les descendants de survivants de l’Holocauste a révélé des niveaux anormaux de cortisol, l’hormone du stress.
Des recherches sur les descendants des victimes de la famine chinoise du Grand Bond en avant (1959-1961) ont montré une prédisposition accrue aux troubles métaboliques et anxieux (Li et al., Nature Communications, 2017).
Un projet de recherche de l’Université McGill (Meaney et al., 2014) a mis en lumière des altérations de l’ADN chez les petits-enfants de soldats ayant subi des traumatismes sévères.
4. La transmission sociétale : de la guerre à l’éducation nationale
Les sociétés marquées par des guerres prolongées ont également intégré ce silence dans leur culture éducative :
L’Allemagne après 1945 : Selon Harald Welzer (Grand-père n’était pas un nazi, 2002), la société allemande a vécu une longue période de mutisme sur le passé nazi, empêchant plusieurs générations d’affronter leur histoire familiale.
Le Japon d’après-guerre : L’omission de certaines atrocités de guerre dans les manuels scolaires a généré un décalage mémoriel entre les générations, selon les travaux de Carol Gluck (Thinking with the Past, 2007).
Les États-Unis après le Vietnam : Le silence des vétérans a influencé la culture populaire, donnant naissance à des œuvres comme Voyage au bout de l’enfer ou Platoon, qui ont contribué à briser le tabou du mutisme militaire.
Briser le silence pour guérir les générations futures
Le silence des anciens combattants n’a pas été un oubli, mais une empreinte invisible qui a marqué des générations. Que ce soit à travers la psychogénéalogie, l’épigénétique ou la sociologie, il est évident que les traumatismes de guerre ne disparaissent pas avec ceux qui les ont vécus.
Mais ces héritages ne sont pas une fatalité. De plus en plus de travaux montrent que mettre des mots sur les non-dits familiaux permet de désamorcer leur impact sur les descendants. La parole, qu’elle soit individuelle ou collective, est une arme de résilience face aux blessures de l’Histoire.
Le silence des anciens combattants n’a pas été un oubli, mais une empreinte invisible qui a marqué des générations. Ce mutisme, bien loin d’être une simple absence de mots, a structuré des comportements, forgé des héritages émotionnels et, parfois, figé des familles entières dans un schéma de résilience contrainte. Il est aujourd’hui évident, à travers la psychogénéalogie, l’épigénétique ou la sociologie, que les traumatismes de guerre ne disparaissent pas avec ceux qui les ont vécus. Ils imprègnent les générations suivantes, influençant leur rapport à l’autorité, aux émotions et même à la manière dont elles construisent leurs propres récits familiaux.
Mais ces héritages ne sont pas une fatalité. La parole, qu’elle soit individuelle ou collective, est une arme de résilience face aux blessures de l’Histoire. De plus en plus de recherches montrent que mettre des mots sur les non-dits familiaux permet de désamorcer leur impact, d’apaiser les tensions transgénérationnelles et de rompre des cycles de souffrance silencieuse. L’acte de transmission consciente permet de se réapproprier son histoire, non pas comme un poids inévitable, mais comme une matière vivante que l’on peut comprendre et transformer.
Car au fond, nous sommes bien plus marqués par l’héritage invisible de nos ancêtres que nous le croyons. Leurs silences, leurs gestes, leurs choix conditionnent nos propres attitudes et réactions de manière subtile mais persistante. Nous reproduisons souvent, sans même en avoir conscience, les modèles transmis au fil des générations. Si ce sujet vous intrigue, découvrez pourquoi imitons-nous nos ancêtres sans le savoir.
Sources :
Audoin-Rouzeau, S. (2017). Combattre, penser, transmettre.
Gluck, C. (2007). Thinking with the Past.
Herman, J. (1992). Trauma and Recovery.
Hedges, C. (2002). War is a Force that Gives Us Meaning.
Van der Kolk, B. (2014). The Body Keeps the Score.
Yehuda, R. (2016). Transgenerational transmission of stress effects.
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Sophie
Je n’ai jamais cherché à me tourner vers le passé, jusqu’au jour où j’ai compris qu’il vivait déjà en moi. À travers des récits oubliés, j’ai trouvé des clés qui éclairent ma propre histoire. Depuis, ce lien avec mes ancêtres m’accompagne et me révèle chaque jour un peu plus qui je suis.