Les lignées de guérisseuses, rebouteux et sages-femmes : quand l’intuition traverse les générations en silence

Elles n'ont laissé ni traités, ni titres officiels, pourtant leurs gestes ont traversé les siècles. Guérisseuses, rebouteux, sages-femmes… Derrière ces figures de l’ombre se cachent des lignées entières, souvent oubliées, parfois effacées, mais toujours vibrantes sous la surface de l’histoire. Et si ton intuition, tes mains, ton regard — portaient l’empreinte silencieuse de cet héritage ancestral ? Ce voyage entre archives, mémoire du corps et transmission invisible t’invite à (re)découvrir ce que ta généalogie ne dit pas encore…

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Les invisibles de l’histoire : entre oubli, silence et transmission cachée

Dans les marges de l’Histoire officielle, entre les chroniques ecclésiastiques et les archives notariales, vivent des figures silencieuses et puissantes : les guérisseuses, les rebouteux, les sages-femmes. Ceux qu’on appelait parfois avec respect, parfois avec peur, mais dont la trace, bien qu’effacée des récits dominants, a survécu dans les gestes, les regards, les silences. Dans chaque village, sur chaque continent, il y avait “celle qui savait”, “celui qui soignait avec les mains”, “celle qui faisait naître, sans diplôme mais avec intuition”.

Si les grands noms de la médecine sont majoritairement masculins et issus des villes, les vrais acteurs du soin populaire — ceux du quotidien, du corps, du lien entre la vie et la mort — ont longtemps été des femmes et des autodidactes, transmis oralement, de génération en génération. Cette transmission n’est pas toujours visible. Elle s’inscrit dans les gestes, dans les secrets, dans des objets transmis sans mots, dans des rêves parfois. Et elle laisse des traces dans la psyché de leurs descendant·e·s — jusqu’à aujourd’hui.

Des archives rares mais éclairantes

Dans les archives de la police royale française du XVIIIe siècle, on retrouve des procès-verbaux de “faiseuses d’anges”, de “sorcières guérisseuses”, souvent accusées à tort, mais consultées en secret par les élites elles-mêmes. En Russie, les znakharki, guérisseuses de village, étaient respectées, parfois redoutées, mais toujours sollicitées. En Afrique de l’Ouest, les femmes guérisseuses, héritières des savoirs de leurs mères, étaient (et sont encore) les piliers de la santé communautaire. En Amérique latine, les curanderas ou parteras (sages-femmes traditionnelles) perpétuent des rituels ancestraux issus de la cosmovision andine ou maya.

Et pourtant, ces lignées ont été invisibilisées, parfois effacées volontairement. La modernité, la colonisation, la médecine institutionnelle, les religions dominantes ont souvent rejeté, ridiculisé ou persécuté ces formes de savoir. Le “savoir du corps” a été marginalisé au profit du “savoir du livre”, et les héritiers et héritières de ces pratiques se sont tus — parfois jusqu’à en oublier eux-mêmes leur propre héritage.

L’empreinte silencieuse dans les familles

Mais le corps n’oublie pas. Et les lignées, même brisées, laissent des traces. Une grand-mère qui massait “sans avoir appris”, une tante qui savait “quand un bébé allait venir”, un père qui “ressentait dans ses mains ce qui n’allait pas” — autant d’héritages non nommés, mais présents. Et aujourd’hui, nombreux sont ceux qui redécouvrent, souvent par le biais de la généalogie ou du développement personnel, qu’ils sont les descendant·e·s de ces figures oubliées.

Le silence peut être une forme de transmission. L’intuition, un canal ancestral.

Intuition et mémoire corporelle : une transmission transgénérationnelle invisible

La science commence à le reconnaître : la mémoire ne se transmet pas uniquement par les gènes ou les mots, mais aussi par le corps, les gestes, les émotions. En psychogénéalogie, on parle de mémoire cellulaire ou de programmations inconscientes héritées. Dans les familles issues de lignées de guérisseuses, on retrouve souvent des femmes (ou des hommes) dotés d’une intuition inexplicable, d’un rapport particulier au toucher, au soin, à la nature.

Des savoirs silencieux mais actifs

Des études sur la transmission transgénérationnelle, notamment celles de Didier Dumas, Anne Ancelin Schützenberger ou Rachel Yehuda (sur l’épigénétique des traumatismes), montrent que des savoirs, des peurs, des talents peuvent se transmettre sans avoir été verbalisés. Chez les descendant·e·s de rebouteux, on observe souvent une aisance particulière à manipuler les corps, un intérêt spontané pour les médecines alternatives, ou une sensibilité exacerbée au mal des autres.

En Afrique, en Inde, en Océanie, ces transmissions se font encore aujourd’hui par l’observation, la vie partagée, et non par des cursus. Ce sont des savoirs ancrés dans le réel, dans la répétition quotidienne, dans les rites de passage. La modernité a cassé cela, mais les corps se souviennent.

Quand l’intuition réveille la lignée

Nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, “se découvrent” une vocation dans le soin, l’énergétique, la naissance… et qui, en explorant leur arbre généalogique, découvrent une lignée de sages-femmes, de guérisseurs, ou même de figures persécutées pour sorcellerie. L’intuition peut être un écho de mémoire.

Et cette intuition surgit souvent dans les moments de crise : une maladie inexpliquée, une perte, un burn-out. Le corps “appelle” à quelque chose de plus profond, de plus ancien. Il réclame une mémoire oubliée, un rôle que l’âme semble reconnaître sans que le mental puisse l’expliquer.

C’est là que s’ouvrent des chemins : vers la généalogie, vers les archives, vers les récits familiaux tus, vers les livres interdits, vers les traditions marginalisées.

Archives oubliées, récits effacés : retrouver la mémoire des lignées guérisseuses

Les rebouteux, sages-femmes et guérisseuses n’ont pas laissé beaucoup d’écrits. Mais ils ont laissé des traces subtiles, parfois dans des registres d’état civil (profession : “accoucheuse”), parfois dans des témoignages oraux, parfois dans des gestes encore pratiqués inconsciemment. La quête de ces lignées est une enquête, au croisement de la généalogie, de l’ethnologie et de la mémoire familiale.

Comment retrouver ces lignées ?

  1. Regarder les métiers déclarés dans les actes anciens (accoucheuse, herboriste, magnétiseur…)

  2. Interroger les anciens de la famille, même s’ils disent “elle faisait juste ça pour aider”

  3. Observer les récurrences : enfants nés à domicile, décès autour de pratiques “interdites”, rêves étranges, héritages de plantes ou d’objets symboliques

  4. Explorer les archives locales : les procès, les certificats de baptême, les rapports de gendarmerie, les journaux paroissiaux contiennent parfois des trésors

En Amérique latine, des anthropologues comme Marisol de la Cadena ou Eduardo Menéndez travaillent à réhabiliter les récits des médecines traditionnelles dans les communautés quechua, aymara ou mapuche. En Afrique, des archivistes oraux collectent les récits des ngangas et des mambos, souvent effacés par la colonisation. En Asie, les lignées de médecins ayurvédiques ou de shamans birmans sont aujourd’hui cartographiées par des équipes de terrain.

Pourquoi cette quête est-elle vitale aujourd’hui ?

À l’heure où les sociétés modernes semblent technologiquement avancées mais émotionnellement désorientées, retrouver la trace de ces lignées oubliées répond à un besoin fondamental : celui de la reconnexion. Reconnexion au corps, à la nature, à l’histoire familiale, mais aussi à des savoirs longtemps rejetés au nom du progrès scientifique.

Les lignées de guérisseuses, rebouteux et sages-femmes incarnent un modèle de soin basé sur l’écoute, l’intuition, et la relation humaine, bien différent du modèle biomédical dominant. Selon les travaux de l’anthropologue Barbara Tedlock, l’approche intuitive des chamans, guérisseuses et soignants traditionnels est loin d’être irrationnelle : elle repose sur des années d’observation empirique, d’affinage sensoriel, et de transmission intergénérationnelle (Tedlock, The Woman in the Shaman’s Body, 2005). Cette intuition, loin d’être un don inné, est souvent l’héritage d’un apprentissage silencieux.

Des sociologues comme Ivan Illich ou Michel Foucault ont montré comment, au fil des siècles, la médecine institutionnelle s’est construite sur l’exclusion des savoirs populaires — une forme de colonisation interne des connaissances. Les femmes, en particulier, ont été évincées de la sphère du soin, alors qu’elles en avaient longtemps été les principales figures. Le passage du soin communautaire au soin hospitalier a laissé dans son sillage des mémoires traumatiques, des lignées interrompues, et des transmissions réduites au silence.

Mais ces transmissions ne disparaissent pas. Elles mutent. Le sociologue Maurice Halbwachs l’a bien montré : la mémaoire collective ne se perd pas, elle se reconfigure. Et c’est dans les crises personnelles, les maladies chroniques, les reconversions de vie, que ces savoirs refont souvent surface, chez les descendant·e·s d’anciennes guérisseuses ou accoucheuses silencieuses.

Aujourd’hui, dans les sociétés occidentales mais aussi ailleurs, de plus en plus de personnes ressentent un appel intérieur vers les médecines douces, l’herboristerie, l’énergétique, le toucher. Ce retour n’est pas une mode : il est souvent le réveil inconscient d’une mémoire transgénérationnelle, une tentative de rééquilibrage face à un monde trop technicisé, trop mentalisé.

Ce réveil peut d’ailleurs être observé dans les nouvelles formes de généalogie : au-delà de la recherche de noms et de dates, on voit émerger un intérêt pour les récits, les métiers oubliés, les traumatismes cachés et les talents refoulés. C’est ce que souligne la psychologue et spécialiste de la transmission N. Tilmant, pour qui “retrouver un ancêtre guérisseur, c’est parfois autoriser son propre corps à prendre la parole, à dire ce qu’il a toujours su”.

En ce sens, explorer ces lignées, c’est bien plus qu’un acte de curiosité : c’est un geste réparateur, une manière de réintégrer des parts de soi longtemps niées. C’est reconnaître que le soin n’appartient pas qu’aux institutions, mais aussi aux familles, aux femmes de l’ombre, aux mains nues, aux intuitions muettes. Et cela, partout dans le monde, quelles que soient les cultures.

Et si vous portiez en vous une mémoire de soin oubliée ?

Vous n’avez peut-être jamais touché un corps pour le soulager. Vous n’avez peut-être jamais osé écouter cette voix intérieure qui vous disait “je sens ce qu’il faut”. Vous avez peut-être grandi dans une famille qui ne parlait jamais de ces choses-là. Et pourtant, votre corps sait. Vous ressentez parfois dans vos mains, dans votre ventre, dans votre cœur… une connaissance qui ne vient d’aucun livre.

C’est peut-être la mémoire d’une lignée.

Une lignée que vous pouvez aujourd’hui honorer, sans forcément devenir thérapeute. Mais en retrouvant la trace, en nommant ce qui a été tu, en redonnant de la dignité à ces femmes, à ces hommes qui ont soigné, accompagné, accouché, sans reconnaissance.

Et c’est peut-être en retrouvant cette mémoire que vous comprendrez mieux certaines douleurs, certaines fragilités, certains élans. Car l’intuition est aussi une forme de mémoire. Une mémoire qui, faute de mots, se transmet par le silence.

Et ce silence, parfois, le corps le porte… jusqu’à ce qu’on l’écoute enfin.

Si ce sujet vous parle, je vous invite à lire la suite de cette exploration : [Quand le corps parle à la place de l’histoire ]— un article profond sur les maladies psychosomatiques transgénérationnelles, et la manière dont notre corps devient parfois le messager de ce que l’histoire familiale n’a pas su dire.

Sources :

  • Schützenberger, A.A. (1993). Aïe, mes aïeux ! Éditions Ramsay.

  • Dumas, D. (2005). Le complexe de Zeus. Éditions du Seuil.

  • Yehuda, R., & McFarlane, A. (1995). Conflict between current knowledge about PTSD and its original conceptual basis.

  • Menéndez, E. (2003). La enfermedad y la medicina: aproximaciones antropológicas.

  • Cadena, M. de la (2015). Earth Beings: Ecologies of Practice across Andean Worlds. Duke University Press.

  • Lévi-Strauss, C. (1958). Anthropologie structurale.

  • Collectif, Archives départementales de la Lozère – fonds sur les sages-femmes non diplômées (XVIIIe siècle)

  • Entretien avec Maud Kristal, ethnologue spécialiste des soins populaires en Europe de l’Est, 2022

  • Observations issues du projet ECHO (Ethnomédecines Comparées), CNRS

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Sophie

Je n’ai jamais cherché à me tourner vers le passé, jusqu’au jour où j’ai compris qu’il vivait déjà en moi. À travers des récits oubliés, j’ai trouvé des clés qui éclairent ma propre histoire.

Depuis, ce lien avec mes ancêtres m’accompagne et me révèle chaque jour un peu plus qui je suis.