L’influence des traumatismes historiques sur notre comportement moderne

Et si nos comportements, nos peurs et même nos ambitions étaient influencés par des événements que nous n’avons jamais vécus directement ? Guerres mondiales, colonisation, esclavage, génocides, révolutions industrielles et exodes forcés… Ces traumatismes collectifs, souvent refoulés, continuent de marquer nos sociétés et nos psychés bien après que les faits se soient produits. En croisant histoire, sociologie, psychologie et généalogie à l’échelle mondiale, cet article explore comment les traumatismes historiques influencent encore nos décisions, nos croyances et nos relations sociales, et pourquoi comprendre nos racines familiales peut nous aider à mieux nous connaître.

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Introduction : Quand le passé ne passe pas

On pourrait croire que les événements historiques appartiennent au passé et qu’ils n’ont plus d’impact direct sur notre quotidien. Pourtant, de nombreuses études montrent que les grands traumatismes collectifs laissent des empreintes invisibles sur les générations suivantes. Que ce soit à travers l’éducation, la transmission familiale, les structures sociales ou même des mécanismes biologiques comme l’épigénétique, l’histoire continue d’agir en souterrain.

Ce phénomène soulève une question fondamentale : dans quelle mesure sommes-nous les héritiers d’événements que nous n’avons jamais traversés ? Pourquoi des générations après un conflit, une famine ou une oppression, observe-t-on encore des comportements conditionnés par ces chocs ?

1. L’héritage des guerres : une société encore sous tension

Les conflits armés ont marqué chaque continent et ont laissé des séquelles psychologiques profondes sur les générations suivantes. Que l’on parle de la Seconde Guerre mondiale en Europe, de la guerre de Corée, du génocide rwandais ou encore des multiples guerres civiles en Amérique Latine, chaque société a porté les stigmates de ces traumatismes.

  • Un conditionnement à l’économie de survie : En Europe et en Asie, la peur du manque issue des guerres mondiales a influencé la manière dont les générations suivantes gèrent l’argent et la consommation. En Corée du Sud, le souvenir de la guerre de 1950 a conduit à une culture de la prudence financière et de l’autosuffisance.

  • Transmission du stress post-traumatique : Des études en psychogénéalogie et en épigénétique, notamment celles menées par Rachel Yehuda sur les descendants de survivants de l’Holocauste, montrent que le stress intense vécu par une génération peut se transmettre biologiquement aux suivantes.

  • Héritages familiaux et comportements actuels : Dans les familles ayant connu la guerre, la transmission des valeurs de résilience, de discipline et parfois de méfiance est courante. En Amérique Latine, des familles ayant subi les dictatures militaires restent marquées par un besoin viscéral de prudence et de discrétion dans l’expression de leurs opinions politiques.

2. Colonisation, esclavage et rapports sociaux contemporains

L’héritage des périodes coloniales et de l’esclavage ne se limite pas aux faits historiques : il façonne encore aujourd’hui les structures sociales et les rapports entre individus.

  • Des systèmes de hiérarchie raciale persistants : En Amérique Latine, au Brésil ou en Afrique du Sud, la stratification sociale est encore marquée par des inégalités issues des périodes coloniales et esclavagistes. 

  • Le poids de la mémoire collective : Les récits familiaux, les non-dits et l’absence de réparation complète des injustices passées nourrissent parfois des sentiments de ressentiment ou de quêtes identitaires. La mémoire collective est entretenue par les récits historiques, la littérature et les récits familiaux qui façonnent la perception qu’un groupe a de lui-même et des autres. Aux États-Unis, par exemple, les effets de la ségrégation légale abolie dans les années 1960 se font toujours ressentir dans les disparités économiques et éducatives entre les communautés afro-américaines et blanches.

  • De la même manière que les traditions de mariage ont évolué sous l’influence des changements sociaux et économiques – comme je l’explore dans l’article sur les mariages anciens, dit “arrangés” vs “modernes” et notre reproduction de ces schémas anciens] – les traumatismes historiques façonnent encore aujourd’hui nos structures familiales, nos choix de vie et nos aspirations collectives.

  • Une transmission intergénérationnelle des traumatismes : Des recherches en psychologie sociale ont montré que les traumatismes historiques se transmettent non seulement par les récits mais aussi par l’environnement social et les conditions de vie. Chez les descendants d’esclaves, les traces de domination, de spoliation ou de violence institutionnalisée influencent encore les trajectoires professionnelles, l’accès aux richesses et la perception de la réussite sociale. Une étude du Pew Research Center (2016) montre que la richesse moyenne des familles blanches aux États-Unis est sept fois supérieure à celle des familles afro-américaines, une conséquence directe de siècles de privation de droits économiques et d’accès limité à la propriété foncière.

En Haïti, premier pays indépendant fondé par d’anciens esclaves en 1804, l’absence de réparations et l’isolement diplomatique imposé par les anciennes puissances coloniales ont contribué à des crises économiques récurrentes qui perpétuent un sentiment d’injustice transgénérationnel. De même, en Afrique du Sud, malgré la fin officielle de l’apartheid en 1994, les inégalités structurelles entre Blancs et Noirs persistent, nourries par des décennies de spoliation et de ségrégation légale.

Ces inégalités, couplées à une transmission de la mémoire collective par l’éducation et les médias, influencent encore aujourd’hui les revendications politiques et les tensions sociales, illustrant le poids durable des traumatismes historiques sur la structuration des sociétés contemporaines.

3. L’impact des crises économiques sur les comportements collectifs

Les crises économiques ont profondément influencé la manière dont certaines populations perçoivent l’argent, le travail et la consommation.

Certaines cultures par exemple, valorisent l’épargne plus que d’autres. En Chine, les famines des XIXe et XXe siècles, notamment celle du Grand Bond en avant (1959-1961), ont inculqué une peur du gaspillage alimentaire et une tendance à l’accumulation. En Allemagne, l’hyperinflation des années 1920 a conduit à une méfiance persistante envers les monnaies instables et à une culture de la rigueur budgétaire.                                                                                                                    Les peuples ayant connu des famines ou des pénuries alimentaires accordent quant à elle une importance particulière à la nourriture. En Irlande, la Grande Famine de 1845-1852 a durablement transformé l’agriculture et l’alimentation. En Russie, les générations qui ont connu le rationnement sous Staline ont conservé des habitudes de stockage alimentaire longtemps après la fin des pénuries.

4. L’épigénétique et la transmission des traumatismes familiaux

Les découvertes récentes en épigénétique montrent que les traumatismes ne se transmettent pas seulement par l’éducation et la culture, mais aussi biologiquement.

  • L’héritage biologique des famines : Une étude menée en Suède sur la famine de 1866-1868 a révélé que les petits-enfants des survivants présentaient un risque accru de maladies métaboliques et cardiovasculaires. Cette transmission, observée sur plusieurs générations, démontre que l’ADN peut être modifié en réponse à des conditions de stress extrême.

  • Un impact sur les comportements alimentaires et la santé : Chez les descendants de populations ayant vécu des famines ou des pénuries alimentaires, on observe une tendance à la rétention de graisses et à un métabolisme plus lent, signe d’une adaptation génétique à la privation.

  • Des comportements inconscients hérités : Dans certaines cultures, le refus de gaspiller la nourriture, l’importance des repas familiaux ou encore la méfiance envers les pénuries trouvent leurs racines dans ces héritages transgénérationnels.

Conclusion : Le poids du passé sur nos choix contemporains

Loin d’être figé dans le passé, l’héritage des traumatismes historiques façonne encore aujourd’hui nos perceptions, nos comportements et nos rapports sociaux. De la mémoire des guerres à celle des famines en passant par les oppressions systémiques, ces événements marquants continuent d’imprégner nos sociétés de manière parfois invisible mais bien réelle.

L’épigénétique révèle que les souffrances de nos aïeux peuvent s’inscrire jusque dans notre biologie, influençant non seulement notre santé mais aussi nos réflexes de survie et nos comportements collectifs. Cette mémoire silencieuse se transmet par le langage, les traditions, les institutions et même les modes de consommation.

Plutôt que d’être enfermés dans ces héritages, il est essentiel de les reconnaître et de les analyser afin de mieux comprendre les mécanismes qui nous conditionnent. L’histoire, loin d’être un simple récit du passé, est une force vive qui continue d’agir sur nos choix et nos perspectives d’avenir.

Sources :

  • Yehuda, R., & Bierer, L. M. (2009). Transgenerational transmission of cortisol and PTSD risk. Biological Psychiatry.

  • Bygren, L. O., Kaati, G., & Edvinsson, S. (2001). Longevity determined by paternal ancestors’ nutrition. European Journal of Human Genetics.

  • Mbembe, A. (2013). Critique de la raison nègre.

  • Fassin, D. (2010). La raison humanitaire.

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Sophie

Je n’ai jamais cherché à me tourner vers le passé, jusqu’au jour où j’ai compris qu’il vivait déjà en moi. À travers des récits oubliés, j’ai trouvé des clés qui éclairent ma propre histoire. Depuis, ce lien avec mes ancêtres m’accompagne et me révèle chaque jour un peu plus qui je suis.

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