Mariage arrangé vs. Amour moderne : et si nous reproduisions des schémas anciens ?

On pourrait croire que le mariage arrangé appartient au passé, relégué aux pratiques d’un autre temps. Mais sommes-nous vraiment aussi libres dans nos choix amoureux qu’on le pense ? Et si, malgré Tinder, les rencontres spontanées et la liberté de choisir, nous n’avions fait qu’adapter d’anciens schémas plutôt que de les abolir ? Entre traditions ancestrales, transmissions familiales et conditionnements inconscients, plongeons dans un paradoxe fascinant.

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Les mariages arrangés : une règle plus qu’une exception

Quand on évoque les mariages arrangés, on pense immédiatement aux unions dictées par les familles, aux alliances économiques du passé ou aux traditions de certaines cultures. Pourtant, jusqu’au XIXe siècle en France et en Europe, 90 % des mariages étaient arrangés (Stone, 1977).

Pourquoi ?

  • Une nécessité économique : Un mariage était un contrat avant tout, garantissant la stabilité financière des familles.

  • Un outil social : Il fallait préserver le rang, l’honneur et la réputation de la lignée.

  • Et l’amour dans tout cela ? Presque anecdotique, voire perçu comme un facteur perturbateur

    Dans la noblesse et la bourgeoisie du XIXe siècle, les mariés ne se rencontraient parfois que la veille du mariage (Bourdieu, 1998). L’idée même de choisir son conjoint pour des raisons sentimentales était perçue comme irresponsable.

    Pourtant, ces stratégies matrimoniales étaient bien plus anciennes. Sous l’Ancien Régime ( du XVIe siècle à la Révolution française), les archives généalogiques montrent que certaines familles contractaient des alliances sur plusieurs générations, parfois avec les mêmes familles, pour conserver des terres ou renforcer des liens de pouvoir.

Dans la France du XVIIe siècle, les mariages entre cousins étaient courants dans l’aristocratie et la bourgeoisie pour éviter l’éparpillement des héritages fonciers. La généalogie des grandes familles révèle ainsi des mariages consanguins stratégiques, qui assuraient la perpétuation des lignées.

Mais cette époque est révolue, n’est-ce pas ? Pas si vite.

L’amour moderne est-il vraiment si libre ?

Nous aimons croire que nous choisissons notre partenaire en toute autonomie. Pourtant, les études en sociologie et en généalogie montrent que nous reproduisons souvent des stratégies inconscientes, parfois similaires à celles de nos ancêtres.

1. Nous épousons (presque) toujours des personnes de notre milieu

80 % des couples en France sont issus de milieux sociaux similaires (Insee, 2022). Un avocat épousera souvent une avocate ou une cadre supérieure.
Un ouvrier aura statistiquement plus de chances d’être avec une personne de même catégorie socio-professionnelle.

Pourquoi ce phénomène ?
On pourrait penser qu’il s’agit de goûts communs ou de coïncidences, mais c’est un schéma hérité des mariages arrangés, où le but était de conserver un équilibre social. Dans l’histoire familiale, les registres d’état civil montrent souvent des lignées homogènes sur plusieurs générations. Même après l’abolition du mariage arrangé, les familles ont continué à orienter discrètement leurs enfants vers des partenaires correspondant à leur statut.

En étudiant des arbres généalogiques du XVIIIe et XIXe siècles, on remarque que les artisans marient leurs enfants à d’autres familles d’artisans, tout comme les commerçants ou les notables. La mobilité sociale dans le mariage était l’exception, non la règle.

2. Les applications de rencontre : un marché du mariage 2.0

Saviez-vous que Tinder, Meetic ou Elite Rencontre ne sont en réalité qu’une version modernisée des agences matrimoniales et petites annonces du XIXe et début du XXe siècle ? Derrière leur interface moderne, ces plateformes numériques reproduisent presque à l’identique les critères de sélection qui ont toujours existé dans la quête d’un partenaire.

L’illusion du libre choix : un tri algorithmique qui remplace les stratégies familiales

Loin d’être un espace de hasard ou de rencontres spontanées, les applications de rencontre sont basées sur un système de filtrage précis, qui rappelle les stratégies d’alliance matrimoniale des siècles passés. Comme autrefois, les candidats sont triés selon des critères bien définis :

  • L’âge : Autrefois, on cherchait des épouses jeunes et des maris bien établis ; aujourd’hui, les algorithmes favorisent toujours ces mêmes tendances.

  • La profession : Une carrière prestigieuse reste un facteur attractif, de la même manière que les notables du XIXe siècle recherchaient des unions avantageuses entre professions respectables.

  • Le niveau d’études : Il fonctionne comme un indicateur social, souvent associé à la classe socio-économique et au style de vie futur.

  • Les revenus : Même si rarement affichés directement, ils sont souvent déterminés par la profession et les indices sociaux liés au profil.

Ce que cela montre, que nous filtrons toujours nos partenaires amoureux comme autrefois les familles filtraient les prétendants. Les algorithmes ont remplacé les parents, les notaires et les agences matrimoniales, mais la logique reste la même : assurer une compatibilité sociale et économique avant d’envisager la dimension sentimentale.

Les petites annonces matrimoniales, ancêtres des algorithmes

L’idée que le romantisme et l’amour sont les seuls moteurs du choix conjugal est une conception récente, popularisée par le XXe siècle et la montée de l’individualisme. Mais avant cela, trouver un partenaire a toujours été une affaire de stratégie et d’optimisation sociale.

Au début du XXe siècle, avant la généralisation des mariages d’amour, les petites annonces matrimoniales publiées dans les journaux faisaient déjà office d’algorithmes avant l’heure. Les candidats y précisaient leur niveau de fortune, leur moralité, leur appartenance religieuse et leurs attentes sociales. Certaines familles y voyaient un moyen efficace de trouver un bon parti, tout comme aujourd’hui avec les applications de rencontre.

Par exemple, dans les journaux français de la Belle Époque, on retrouvait des annonces du type :
Jeune femme 25 ans, issue de famille bourgeoise, catholique, bonne éducation, cherche époux sérieux et fortuné pour mariage honorable.

Ou encore :
Veuf 45 ans, industriel prospère, souhaite rencontrer dame de bonne famille, sans exigences superflues, en vue d’union sincère et stable.

Ces descriptions ne sont pas si éloignées des profils que nous remplissons aujourd’hui sur les applications de rencontre : nous nous vendons avec nos atouts sociaux, professionnels et financiers, tout en cherchant des critères spécifiques chez l’autre.

3. La pression familiale existe toujours

Le mariage arrangé, c’était aussi une affaire de famille. Aujourd’hui, si les parents n’imposent plus un conjoint, leur influence reste déterminante. Dans de nombreuses cultures, le mariage n’était pas simplement un engagement personnel, mais une véritable épreuve initiatique, où l’individu devait répondre aux attentes sociales et familiales avant d’accéder à un nouveau statut. Cette logique s’inscrit dans une longue tradition de rites de passage, qui encadraient la transition entre différentes étapes de la vie. Mariage, service militaire, entrée dans la vie adulte : autant de passages codifiés qui ont laissé des traces dans nos comportements modernes. (Découvrez ici [comment les rites de passage continuent d’influencer nos parcours])

Faits et statistiques :

  • 60 % des jeunes adultes disent que l’avis de leurs parents influence leur choix de partenaire (YouGov, 2021).

  • Un couple sur trois avoue que des tensions familiales ont pesé sur leur relation (IFOP, 2019).

Le regard des autres pèse toujours :

  • “Pourquoi tu sors avec quelqu’un qui n’a pas fait d’études ?”

  • “Il n’est pas assez bien pour toi.”

  • “Elle ne partage pas nos valeurs.”

Ces remarques rappellent étrangement les objections formulées par les familles d’autrefois quand elles refusaient un prétendant jugé inadapté.
Aussi, dans certaines familles, les généalogistes amateurs découvrent que des mariages considérés comme "hors normes" (différences de classe, d’origine, de religion) ont été effacés des récits familiaux ou n’ont pas été mentionnés dans les archives transmises.

4.Les schémas inconscients qui dictent nos choix amoureux

Si l’histoire et la société nous influencent, il y a un autre acteur invisible dans nos relations : notre propre généalogie.

La psychogénéalogie a montré que des mariages répétés entre certaines professions ou des schémas amoureux douloureux se transmettent parfois sans que nous en ayons conscience (Schützenberger, 1998). Elle y relate d’ailleurs l’'exemple d’un homme qui quitte systématiquement ses partenaires après 7 ans. En remontant son arbre généalogique, on y découvre que son grand-père et son arrière-grand-père avaient tous deux abandonné leur foyer exactement au même âge.

Ce phénomène s’appelle la "loyauté invisible" : des schémas familiaux qui se répètent sans qu’on s’en rende compte. Nos choix amoureux semblent parfois dictés par des héritages familiaux invisibles. Mais ce phénomène ne s’arrête pas au mariage : même un simple prénom peut façonner un destin. Découvrez comment notre identité est influencée dès la naissance dans l’article 

Peut-on briser ces schémas ?

Si nous reproduisons inconsciemment des modèles anciens, est-il possible d’échapper à ces schémas répétitifs ? La première étape consiste à prendre conscience de ces répétitions. En étudiant son arbre généalogique, il devient possible d’identifier des dynamiques récurrentes, qu’il s’agisse de mariages entre mêmes catégories sociales, de séparations survenant à des âges similaires ou encore de trajectoires amoureuses marquées par les mêmes dilemmes génération après génération.

Une fois ces schémas repérés, il est essentiel de se poser les bonnes questions : mon choix de partenaire est-il véritablement le fruit de ma propre volonté ou est-il influencé, consciemment ou non, par des attentes familiales et sociales ? Ce questionnement permet d’évaluer dans quelle mesure nos décisions sont dictées par des héritages invisibles plutôt que par nos désirs personnels.

Cependant, sortir de ces modèles ne signifie pas les rejeter en bloc, mais accepter la singularité de chaque parcours. L’amour ne devrait pas être la simple reproduction d’un scénario familial préétabli, mais plutôt l’opportunité d’une réinvention de soi, où chaque individu construit son propre récit amoureux, affranchi des pressions héritées du passé.

D’ailleurs, les études confirment que les unions les plus durables ne sont pas forcément celles qui respectent ces schémas traditionnels. Selon l’Insee, les couples dont les conjoints ont des parcours très différents ont statistiquement plus de chances de résister à l’épreuve du temps. Cette donnée souligne l’importance de la complémentarité et du renouvellement des dynamiques relationnelles, en opposition aux mariages où les similitudes et les attentes familiales priment sur l’individualité et l’évolution du couple.

Sommes-nous vraiment libres d’aimer ?

Nous croyons avoir dépassé l’ère des mariages arrangés, mais nos choix amoureux restent conditionnés par des dynamiques invisibles que nous sous-estimons. Les mariages d’autrefois étaient négociés comme des alliances stratégiques, définies par des impératifs économiques, sociaux et familiaux. Aujourd’hui, les algorithmes des applications de rencontre, nos cercles sociaux et nos héritages familiaux jouent un rôle similaire, influençant subtilement nos préférences et nos décisions.

Si nous pensons choisir librement nos partenaires, il est frappant de constater que la plupart des unions restent homogènes en termes de milieu social, de niveau d’éducation et de culture. Ce phénomène, appelé homogamie, montre que nous avons tendance à reproduire inconsciemment les schémas relationnels de nos ancêtres, même à l’ère du numérique. De plus, la psychogénéalogie met en évidence que certaines dynamiques amoureuses – mariages précoces, séparations récurrentes, unions conflictuelles – peuvent se transmettre de génération en génération, influençant nos comportements sans que nous en ayons pleinement conscience.

Alors, sommes-nous réellement libres dans nos choix amoureux ? Ou ne faisons-nous que rejouer un scénario écrit bien avant nous, dicté par des attentes familiales et des modèles invisibles ? Comprendre ces transmissions inconscientes ne signifie pas s’y soumettre, mais permet au contraire de s’en libérer et d’écrire sa propre histoire.

Et vous, avez-vous déjà remarqué des schémas amoureux récurrents dans votre arbre généalogique ? Votre histoire personnelle est-elle le reflet d’une trajectoire familiale plus vaste ?

Sources et références :

  • Bourdieu, P. La Distinction (1979).

  • Chaunu, P. La France classique, 1661-1715 (1975).

  • Duby, G. Le Chevalier, la femme et le prêtre (1995).

  • Fauve-Chamoux, A. Les stratégies matrimoniales dans l’histoire (2009).

  • IFOP, Enquête sur l’influence familiale dans les relations amoureuses (2019).

  • Insee, Études sur les unions en France (2022).

  • Le Wita, B. Ni vue ni connue : Approche ethnographique de la bourgeoisie française (1988).

  • Noiriel, G. Immigration, antisémitisme et racisme en France (2007).

  • Schützenberger, A. Aïe, mes aïeux ! (1998).

  • Stone, L. The Family, Sex and Marriage in England 1500-1800 (1977).

  • YouGov, Étude sur le poids des traditions familiales en amour (2021).

  • Les prénoms, ces héritages inconscients qui nous façonnent.

  • "Mariage arrangé" VS. "Mariage moderne": et si nous reproduisions des schémas anciens ?

  •  Pourquoi héritons-nous des superstitions de nos ancêtres ?

  • Pourquoi imitons-nous nos ancêtres sans le savoir ?

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Sophie

Je n’ai jamais cherché à me tourner vers le passé, jusqu’au jour où j’ai compris qu’il vivait déjà en moi. À travers des récits oubliés, j’ai trouvé des clés qui éclairent ma propre histoire.

Depuis, ce lien avec mes ancêtres m’accompagne et me révèle chaque jour un peu plus qui je suis.