Le tabou du divorce dans la famille: Une rémance du XIXe siècle ?

Un divorce en 2025 peut encore susciter malaise, rejet, voire rupture familiale. Dans certaines familles, il est évoqué à demi-mot, voire totalement tu. Pourtant, nous sommes à une époque où le taux de divorce atteint 45 % dans certains pays d'Europe. Comment expliquer ce décalage ? Et si ce tabou s’inscrivait dans une histoire longue, transmise inconsciemment depuis le XIXe siècle ? Cet article croise les disciplines et les cultures pour interroger la persistance de cette gêne, de cette honte, de cette fracture.

INTRODUCTION

Lorsqu’elle a quitté son mari, Élisa, 34 ans, pensait que le plus difficile serait la solitude, la garde partagée, ou les soucis financiers. Elle n’imaginait pas une seconde perdre aussi… sa place dans la famille. « On m’a dit : “Tu déshonores ta lignée” », confie-t-elle. Cette phrase, elle ne l’avait entendue que dans les récits de ses arrière-grands-mères, pas dans le salon moderne de ses propres parents.

Mais au fond, ce rejet, cette honte autour du divorce, est-il si moderne qu’il en a l’air ? Et si le malaise que suscite encore aujourd’hui la séparation avait ses racines bien plus profondes, dans des modèles familiaux anciens, codifiés, transmis, invisibles… mais puissants ?

CHAPITRE 1 : Le XIXe siècle, ou l’invention du mariage moral

Le couple sous contrôle

Avant la Révolution française, en France comme dans nombre de sociétés, le mariage était une affaire de lignées, de patrimoine, d’honorabilité. L’amour ? Un bonus. Le divorce ? Inimaginable, sauf dans des cas religieux très restreints.

La Révolution introduit le divorce en 1792, mais Napoléon le restreint dès 1804, et il est totalement interdit sous la Restauration. En 1884, la loi Naquet réintroduit le divorce civil. Ce retour est mal vu par la droite catholique, les monarchistes et même une partie des républicains modérés. Le divorce reste donc rare, tabou, vu comme un aveu d’échec moral.

Source : Jean Carbonnier, Sociologie juridique (PUF) – Michel Foucault, Histoire de la sexualité.

Une moralité bourgeoise transmise aux masses

Le XIXe siècle est marqué par l'essor de la bourgeoisie industrielle, qui impose son modèle conjugal : fidélité, respectabilité, pérennité du foyer. La femme devient gardienne des mœurs, le couple un pilier de l’ordre social. Toute séparation devient suspecte, voire subversive.

Ce modèle va imprégner les mentalités jusque dans les classes populaires et paysannes, grâce à l’école, à l’Église, à la presse. Et se transmettre sur plusieurs générations, bien au-delà de l’Europe.

CHAPITRE 2 : Diversité culturelle et pressions sociales

Quand le divorce existe… mais reste mal vu

Dans de nombreuses sociétés non occidentales, le divorce n’était pas juridiquement impossible, mais fortement découragé.

  • Empire ottoman : le divorce était licite pour les femmes et les hommes, mais stigmatisé socialement.

  • Japon pré-Meiji : les hommes pouvaient répudier, mais les femmes divorcées perdaient souvent leur statut social.

  • Inde hindoue : très rare jusqu’au XXe siècle. Les femmes divorcées étaient souvent ostracisées.

  • Afrique subsaharienne : dans certaines cultures (peul, mossi), le divorce était accepté mais symboliquement lourd, notamment en cas d’enfants.

Sources : Fatima Mernissi, Le Harem politique ; Jack Goody, La famille dans l’histoire ; Sylvie Fanchette (IRD), travaux ethnographiques au Sahel.

Le poids de la honte communautaire

Dans le Maghreb, comme dans les communautés juives orientales ou d’Asie du Sud-Est, le divorce n’était pas uniquement une affaire de couple, mais une atteinte à l’honneur du groupe. La femme divorcée pouvait être renvoyée à sa famille d’origine avec humiliation. L’homme, lui, portait le fardeau de l’échec ou de la perte d’autorité.

Cette perception perdure dans certaines diasporas, même après des décennies d’émigration. Une étude menée à Paris auprès de familles d’origine marocaine montre que 70 % des parents interrogés estiment encore que « divorcer, c’est salir l’honneur familial ». (INED, 2021)

CHAPITRE 3 : Le divorce, un traumatisme transgénérationnel

Les fantômes conjugaux dans les arbres généalogiques

En psychogénéalogie, le divorce est souvent un nœud familial. Il provoque des ruptures narratives : un parent effacé, un nom qui disparaît, des silences transmis. Certains descendants portent une loyauté invisible à l’un des parents, ou à l’idéal d’unité perdue.

Source : Anne Ancelin Schützenberger, Aïe, mes aïeux ! ; Didier Dumas, Le complexe de Dieu.

Des enfants de parents divorcés peuvent inconsciemment répéter des scénarios : éviter les engagements, fuir le conflit, ou à l’inverse s’accrocher à des relations toxiques par peur de reproduire le "désastre".

L’enfant de la discorde

Quand le divorce n’est pas assumé, c’est souvent l’enfant qui en porte le poids. Un garçon élevé sans père se sent "incomplet" ; une fille avec une mère stigmatisée vit dans la peur du jugement. Le divorce devient alors un marqueur identitaire à transmettre ou à réparer.

« Mon grand-père avait été renié par sa famille après avoir divorcé. Personne ne m’a jamais parlé de lui. Et moi, je suis devenu... thérapeute de couples. » — Témoignage d’Éric D., psychopraticien.

CHAPITRE 4 : Le divorce aujourd’hui : entre banalisation et souffrance silencieuse

Des chiffres… trompeurs ?

En Europe de l’Ouest, près de 40 à 50 % des mariages finissent par un divorce. Mais derrière cette statistique, la réalité émotionnelle reste complexe. Dans de nombreuses familles, un divorce reste mal vécu, jugé, parfois caché aux enfants ou aux grands-parents.

En Chine, les divorces explosent… mais le stigmate aussi. Les « femmes secondes mains » (ershou nü) sont souvent écartées du marché matrimonial.

En Inde, au Brésil, au Maghreb, la pression pour ne pas divorcer est forte. Les couples séparés mais non officiellement divorcés sont nombreux, comme si officialiser l’échec était pire que l’échec lui-même.

Le divorce, nouveau sacrifice féminin ?

Aujourd’hui encore, le divorce coûte plus cher aux femmes : isolement, précarité, culpabilisation sociale. Des études montrent que les femmes divorcées perdent en moyenne 30 % de leur pouvoir d’achat, contre 15 % pour les hommes (INSEE, 2023).

CHAPITRE 5 – Guérir le couple blessé dans l’arbre familial

Ce que révèle le divorce dans une généalogie

Le divorce, souvent vécu comme une discontinuité, est en réalité un symptôme révélateur d’un schéma familial qui ne parvient plus à se maintenir. Il peut annoncer une volonté de transformation à l’échelle d’une lignée.

Selon Anne Ancelin Schützenberger, pionnière de la psychogénéalogie, les événements marquants non résolus (comme un divorce honteux, un abandon conjugal ou une répudiation non dite) peuvent se transmettre par loyauté invisible sur plusieurs générations. Cette transmission n’est pas génétique, mais émotionnelle et comportementale, via ce qu’elle appelle le non-dit, le non-su et le non-exprimé.

Source : Anne Ancelin Schützenberger, Aïe, mes aïeux !, Éd. Desclée de Brouwer, 1993.

En ce sens, certains divorces ne sont pas des ruptures arbitraires, mais des tentatives de libération transgénérationnelle. Ils permettent à des femmes et à des hommes de sortir de cycles de violence conjugale, de mariages imposés, de rôles genrés oppressifs.

Complément de source : Serge Tisseron, Les Secrets de famille, éd. Marabout, 2011 – il démontre comment la répétition d’un trauma familial non verbalisé peut provoquer des ruptures affectives ou identitaires.

Comment travailler ce tabou dans une généalogie ?

Des thérapeutes systémiques, comme Bert Hellinger, ont démontré que dans une constellation familiale, un divorce non reconnu ou effacé symboliquement pouvait créer des désordres : un enfant se sent obligé d’échouer en amour par loyauté, un autre rejette toute forme d’engagement. Le "destin oublié" agit dans l’ombre.

Source : Bert Hellinger, Les fondements des constellations familiales, éditions Le Souffle d'Or.

Il ne s'agit donc pas de célébrer ou de regretter un divorce, mais de lui redonner sa place dans l’histoire familiale, comme tout événement de vie. Cela implique :

  • De ne plus cacher les unions brisées dans les arbres généalogiques.

  • De documenter la version des deux conjoints si possible.

  • D’écrire dans un journal de mémoire les ressentis émotionnels liés à la séparation, surtout si elle a été transmise comme un drame ou une honte.

  • De créer un arbre émotionnel : quels couples ont duré ? Quels couples ont rompu ? Dans quel contexte historique ou culturel ?

Une étude menée par l’université de Leiden (Pays-Bas, 2018) sur 180 familles montre que les descendants de couples divorcés qui avaient pu parler de cette séparation dans un cadre familial bienveillant montraient moins de comportements d’évitement ou d’angoisse de l’attachement que ceux pour qui le divorce restait un secret ou un tabou.

Divorce, séparation et rituels de réparation

Certaines approches thérapeutiques proposent d’inventer des rituels familiaux pour "reconnaître" les personnes effacées de l’histoire. En psychogénéalogie comme en thérapie transgénérationnelle, le fait de redonner une place symbolique (nom, photo, récit) à une figure exclue – souvent un ex-conjoint, un beau-parent, une marâtre diabolisée – permet de pacifier le système.

Source complémentaire : Jodorowsky & Marianne Costa, La Voie du Tarot, éd. Albin Michel, 2004 – bien qu'ésotérique, leur travail sur l'arbre psychogénéalogique comme outil de réconciliation est utilisé dans certains contextes cliniques.

Une mémoire assumée pour une transmission apaisée

En brisant le tabou, on ne célèbre pas l’échec, on reconnaît le réel. On s’offre et on offre aux générations suivantes une liberté nouvelle : celle de pouvoir aimer autrement, se séparer sans honte, et construire des couples en conscience.

Ce travail peut être initié dans des journaux de transmission familiale, à remplir à plusieurs voix. On peut y inscrire les vies amoureuses dans toutes leurs nuances, sans enjoliver, ni noircir, mais en témoignant de l’évolution des liens à travers les âges.

🔗 Pour celles et ceux qui souhaitent documenter ces récits familiaux, mes journaux de mémoire permettent de consigner ces parcours amoureux, heureux ou douloureux, dans toute leur complexité.

CONCLUSION : Briser le tabou, c’est aussi transmettre autrement

Ce n’est pas le divorce qui brise les familles. C’est le silence, le secret, le jugement. L’histoire de votre lignée n’est pas faite que d’unions réussies : elle est faite de tentatives, d’erreurs, de courage, de choix.

Peut-être est-il temps de raconter ces séparations avec autant de soin que les unions. De comprendre ce qu’elles ont ouvert, pas seulement ce qu’elles ont brisé.

Et si vous êtes en train de vous poser la question de votre propre schéma conjugal… posez-vous aussi cette question :

Votre histoire d’amour est-elle un choix… ou une répétition ?
Un lien tout naturel vers notre article :
Mariage d’amour VS mariage arrangé : et si nous reproduisions des schémas anciens ?

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Sophie

Je n’ai jamais cherché à me tourner vers le passé, jusqu’au jour où j’ai compris qu’il vivait déjà en moi. À travers des récits oubliés, j’ai trouvé des clés qui éclairent ma propre histoire.

Depuis, ce lien avec mes ancêtres m’accompagne et me révèle chaque jour un peu plus qui je suis.